Elles, de A à Z
Louise Bourgeois a traversé tout le 20e siècle et s’est éteinte en 2010, à presque 100 ans. Alors même que son œuvre se retrouve dans les plus grands musées du monde – pensons notamment à ses araignées monumentales – il faut toutefois rappeler que ce travail n’a été reconnu que très tardivement. Elle a effectivement 70 ans lorsque le Musée d’art moderne de New York lui consacre une première grande exposition, qui est aussi la première rétrospective consacrée par l’institution à une artiste femme. Les expositions internationales s’enchaînent surtout dans les années 2000, alors que l’artiste a débuté sa carrière dans les années 1940. Bien que les œuvres de créatrices se déploient dans tous les domaines artistiques, l’histoire de l’art distingue avant tout des figures masculines, éclipsant les contributions de nombreuses femmes reléguées à la périphérie des réseaux de reconnaissance.
Cette invisibilisation que l’on doit à la domination masculine est aujourd’hui au cœur du débat public. Des études récentes ont montré que l’estampe, jugée comme un art mineur par son caractère reproductible, a longtemps été associée au féminin, celle-ci faisant partie de l’éducation artistique des femmes au même titre que le dessin En outre, la plupart d’entre elles sont restées anonymes, la frontière entre art, artisanat et reproduction, étant souvent difficile à déterminer dans ce domaine. Aujourd’hui les livres et les expositions se multiplient autour des artistes femmes et montrent la pluralité des médiums dans lesquels leur art s’est développé. Le MBAL, qui durant sa longue histoire a exposé uniquement des hommes – la norme par défaut, cherche également à combler ce vide.
Pour la dixième édition de la Triennale de l’art imprimé contemporain, le choix s’est porté sur des travaux d’artistes femmes exclusivement, non pas dans l’idée de les enfermer un peu plus dans une catégorie réductrice, mais bien pour mettre en perspective les thèmes dont elles s’emparent dans leur art, celui-ci étant empreint des rapports de domination. Quatre artistes contemporaines rayonnent autour de Louise Bourgeois dont est exposé l’œuvre gravé : Batia Suter et Sophie Wietlisbach explorent l’imprimé – images pour l’une et caractères typographiques pour l’autre ; Billie Zangewa et Laia Abril abordent des sujets dits féminins – la vie domestique pour l’une et l’histoire du viol pour l’autre. La Triennale, qui a montré au fil des ans que le multiple n’est pas un art mineur, est également l’occasion d’offrir un espace à l’éditeur zurichois Parkett, qui réunit au MBAL plus de 90 éditions réalisées par les plus grandes artistes femmes de la scène internationale.
Chacune des artistes exposées expérimente différentes techniques pour mettre en lumière leur propre perception du monde. Leur pratique démontre qu’il n’existe pas une expérience féminine qui serait “universelle”, mais au contraire qu’il existe des expériences féminines plurielles.