REGARDS CROISÉS
Avec ses étranges personnages photographiés dans des paysages naturels, Namsa Leuba développe lors de voyages effectués loin de l’Europe une œuvre photographique puissante. Le continent africain en particulier exerce sur l’artiste une fascination quasi magique. L’œuvre échappe à toute définition : s’agit-il de fictions documentaires, d’images de mode, de performances ou d’une vaste enquête autour des identités non occidentales ?
Depuis 10 ans, l’artiste, née d’une mère guinéenne et d’un père suisse, utilise le médium photographique pour interroger l’exotisme. Portant un soin tout particulier aux postures, aux costumes, aux accessoires et aux décors, elle crée des mises en scène fortes autour de ses personnages. Durant plusieurs années, Leuba a exploré l’imaginaire occidental face aux cultures africaines. La série Weke, réalisée en République du Bénin, berceau du vodou, met en scène des récits qui s’inspirent des traditions animistes locales. Dans Tonköma, série produite pour une marque de mode fondée par Ali Hewson et Bono (US), elle fait poser ses modèles sur un toit de Johannesburg et joue sur le contraste entre l’environnement urbain et ses créatures sur échasses. Inspirée par la figure du Nyamou issu de la tradition guinéenne et souvent décrit comme « le diable dans la forêt sacrée », l’artiste, qui a grandi entre deux cultures, joue ici sur la juxtaposition d’identités qui entrent en tension. Dans la série Illusions, réalisée à Tahiti où l’artiste vécut deux ans, c’est le mythe de la vahiné qui est exploré. En réponse aux peintures de Paul Gauguin ayant contribuées à la diffusion du mythe de l’exotisme dans l’art moderne, Leuba nous interpelle une nouvelle fois en s’intéressant en particulier à l’hybridation des genres dans la culture polynésienne. Ses images s’adressent à nous – Occidentaux – et nous renvoient aux stéréotypes de la beauté féminine tels qu’ils ont été véhiculés par les images dites tropicales. A Tahiti, l’artiste inscrit ses modèles, qui appartiennent à la communauté « LGTBQ+ », au sein d’une nature luxuriante et associe l’idée de beauté à l’étrangeté des corps.
Par son travail photographique, Leuba recrée avec beaucoup de créativité des scènes évoquant une « altérité ». Posant dans des costumes et des décors imaginés par l’artiste, ses modèles incarnent des personnages qui semblent sortir de contes fantastiques. Croisant imaginaire occidental et représentations de « l’autre », l’artiste réalise une œuvre puissante qui interroge avant tout notre regard occidental.
Une édition numérotée et signée par l’artiste, produite pour le MBAL, sort à l’occasion de l’exposition. La première monographie de l’artiste, intitulée Crossed Looks, publiée en 2021 chez Damiani, est disponible à la boutique du musée. Le travail de Namsa Leuba est également présenté dans l’exposition The New Black Vanguard.
Namsa Leuba (Suisse/Guinée, 1982), titulaire d’un Bachelor en Potographie et d’un Master en Direction Artistique à l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne et d’un postgrade en photographie à la School of Visual Arts de New York, travaille entre la France, la Suisse et le continent africain. Ayant remporté de nombreux prix, l’artiste d’origine neuchâteloise a percé sur la scène internationale en 2011 avec Ya Kala Ben, une série de photographies prises en Guinée, dans le pays natal de sa mère. Ses œuvres sont régulièrement exposées en Suisse et à l’étranger, notamment en Afrique du Sud, au Nigeria, au Canada, en Corée du Sud et en Espagne.