Regarder le paysage
L’exposition présente une sélection de peintures de la collection du MBAL ayant trait à l’univers de la montagne. Les Alpes dialoguent ici avec les crêtes jurassiennes, en réunissant des peintres de la fin du 19e au milieu du 20e siècle. Parmi ceux-ci, on peut citer Claire Pasch-Battié, François Gos, Alexandre Perrier, Maurice Mathey, Robert Fernier et Charles L’Eplattenier.
L’accrochage prend la forme d’une ascension jusqu’au Cervin, débutant à gauche par des peintures du Jura, pour mener aux Alpes. Trois portraits d’Alexandre Girod rythment la paroi : son Paysan jurassien entame l’escalade, tandis qu’au centre, L’Alpiniste – qui constitue l’une des rares représentations alpestres du peintre – se repose en admirant le paysage, une pointe enneigée émergeant des nuages pardessus son épaule ; enfin, un mystique arrivé au sommet est plongé dans sa lecture. La représentation réaliste du paysage, du relief puissant donné à la roche, en passant par une idéalisation de la nature, laisse progressivement place à une forme d’élévation mystique et spirituelle de la montagne. Au-delà de leurs divergences formelles, les peintres présenté·e·s ici suivent une approche analogue du sujet en se confrontant directement au site.
Le rapport entre l’être humain et la montagne a toujours été complexe, ce dernier étant à la fois celui qui la marque et celui qui est marqué par elle. Dès 1890, on assiste en Suisse à un renouveau d’intérêt pour le genre de la peinture alpestre. Domestiquées, les Alpes restent une source de frayeur dont la beauté est à la fois attrayante et repoussante. Jean Thiébaud met en scène un Cervin monumental devant lequel l’humain réalise sa vulnérabilité et la brièveté de son existence. Il en est de même pour le Col du Théodule de Charles L’Eplattenier, qui joue sur des effets de lumière et le rendu de l’espace pour élever le paysage au rang de représentation mystique, par ailleurs accentué par l’absence de toute trace d’humanité. Les deux tableaux invitent à une méditation sur la grandeur de la nature et revêtent une dimension allégorique et spirituelle, la montagne devenant une divinité inaccessible. D’où cette tension caractéristique du symbolisme helvétique, entre réalisme et idéalisme, qui constitue sans doute la force de ces oeuvres.