Telluris
Admettre que le paysage tient autant de la fiction que de l’artifice reste difficile, comme si cela contredisait notre expérience intérieure. Le travail fascinant de l’artiste française Noémie Goudal (1984) induit subtilement cette prise de conscience, par des dispositifs infiniment complexes et des approches théoriques à chaque fois renouvelées. En effet, la plupart des séries photographiques qu’elle conçoit sont le fruit d’une longue recherche documentaire, et leur réalisation nécessite des domaines d’expertise variés.
La plasticienne investit l’espace d’exposition avec une installation labyrinthique selon son habitude, qui nous invite à déambuler et y découvrir peu à peu ses oeuvres. L’artiste parisienne longtemps établie à Londres où elle s’est formée, puise une grande partie de ses influences dans l’histoire des sciences. Après avoir évoqué notre rapport mouvant au ciel, la photographe consacre ses trois dernières séries à notre compréhension, tout aussi fluctuante, de la formation de la Terre, de ce qui ne s’appelait pas encore géologie, quand nous pensions les montagnes éternellement statiques. Ainsi la série Soulèvements nous rappellent qu’à contrario, le visage de la Terre dessiné par le relief est bien interminablement mouvant. Les montagnes reconstituées par le truchement d’un assemblage de miroirs, disposés dans une zone rocheuse en Bretagne, sont toujours mouvantes, selon les points de vue et les lumières. La série Démantèlements évoque aussi cette métamorphose continue : une montagne imprimée sur un papier hydrosoluble a été contrecollée sur une bâche transparente, puis placée en plein air devant un paysage. Dans la juxtaposition de ces petits formats, la montagne semble fondre, comme les glaciers aujourd’hui. La série Telluris, construite sur des assemblages variables de cubes dans le désert californien, souligne l’obsession humaine à vouloir saisir son milieu, comme si l’apprivoiser avec des équations rendait notre condition existentielle moins fragile.
Noémie Goudal veut placer le spectateur dans une position active, autant par les décors immersifs qu’elle imagine pour ses expositions mais aussi par ce style unique, le plus souvent des photographies de grand format, vides de tout repère spatiotemporel, conçues comme une succession de couches. Au premier regard, on croit être face à des paysages photographiés comme on en trouve tant dans l’histoire de la photographie, mais très vite nous comprenons que nous ne sommes pas face à une image documentaire. L’artiste laisse volontairement des indices dans ses images, nous conduisant à cette prise de conscience. Peu à peu l’oeil voit les éléments de construction amenés physiquement sur les lieux photographiés. Il ne faut en effet pas se méprendre car il n’y a ni recours à la retouche ou au traitement d’images chez Noémie Goudal. L’artiste nous emmène dans ses interrogations devant des paysages qui se veulent ouverts et indéfinissables.
L’exposition est organisée en collaboration avec la galerie Les Filles du Calvaire, Paris. Une interview de l’artiste par Joël Vacheron paraît dans la série « Pouvez-vous nous parler … », publiée par le MBAL.